Interdire la négation des génocides: Que ferait Raphaël Lemkin?

La récente décision du Sénat français de criminaliser la négation du génocide arménien de 1915 a provoqué la réaction du gouvernement turc qui accuse l’hypocrisie du débat. Alors que la Turquie nie officiellement la destruction systématique des Arméniens par l’Empire Ottoman, la réponse commune de la Turquie sur la loi interdisant la négation du génocide arménien est que l’occupation française de l’Algérie représentait un génocide.

 

Nombreux sont ceux qui pensent qu’il est bizarre de comparer les deux. Le génocide arménien apparaît comme la typique violente intention de détruire des groupes entiers de personnes. La France n’a certainement pas eu l’intention de tuer tous les algériens. Comment peuvent-ils comparer ? Pour répondre à cette question, il serait utile d’examiner les origines du terme.

 

Dans son œuvre de 1944, Le règne de l'Axe en Europe occupée, Raphaël Lemkin, l’homme qui a inventé le terme “génocide”, décrit le concept tel «un plan organisé à travers différentes actions visant à détruire les fondations essentielles de la vie d’un groupe ethnique dans le but d’annihiler ce même groupe.” Le génocide se présente en deux étapes: « l’une, la destruction du modèle national du groupe opprimé ; l’autre, l’imposition du modèle national de l’oppresseur ». La destruction des groupes peut prendre plusieurs formes à travers le politique économique, la loi ou la violence.

 

Ainsi, pour Lemkin, l’occupation Nazi de l’Europe, Staline et ses intentions de détruire le peuple ukrainien à travers la persécution religieuse et la famine, le colonisation belge du Congo, et les massacres des arméniens par les ottomans étaient tous des génocides. Ce n’était pas des génocides parce des meurtres ont été commis, mais parce que c’étaient toutes des tentatives ciblées de détruire le mode de vie des oppressés.

 

Quant au génocide algérien, Lemkin a écrit qu’une campagne nationale de violence et de torture visait la conscience nationale algérienne sous l’occupation et que la politique de ressources a apporté une pauvreté et une maladie décimant le peuple algérien. Il pensait que ces politiques planifiées étaient des tentatives du gouvernement français visant à détruire la culture algérienne. Selon Lemkin, il n’y a donc aucune différence avec le génocide des arméniens par l’Empire Ottoman.

 

D’après la définition actuelle de l’ONU, il est difficile de qualifier le pouvoir français exercé en Algérie de génocide. Mais si l’on revient aux origines du concept et considérons les idées de Lemkin, les turcs qui accusent les français d’hypocrites marquent un point. Soyons justes, nous vivons tous dans des états bâtis sur des ossements. Aux Etats-Unis, nous nous cachons de notre génocide en l’appelant la « destinée manifeste ». Tuer les indiens et sauver l’Homme d’un océan à l’autre.

 

Que ferait Lemkin s’il entendait ce débat sur la criminalisation de la négation du génocide? Il montrerait sûrement du doigt les génocides que les deux gouvernements sont en train de laisser faire tacitement ou directement, allant de la Libye, en Iraq ou encore au Congo. Au lieu de se disputer sur la criminalisation de la négation des génocides passés, nos gouvernements feraient mieux de réagir sur les génocides actuels. Pour une fois, les Etats-Unis, la France et la Turquie pourraient interdire la vente intérieure des matériaux qui sont sources de conflits mondiaux. Les plus grandes richesses de la terre se trouvent dans l'est de la République démocratique du Congo, et le génocide fait gagner beaucoup d’argent à beaucoup de gens.

 

Mis à part la perte d’une vie et le traumatisme physique, il y a également l’immense destruction des biens culturels. Lemkin nous ferait remarquer que c’est tout aussi dangereux pour le bien être de l’humanité.

 

Nous aimons montrer du doigt le génocide des autres sans se préoccuper de notre rôle à faciliter ou contester la douleur des autres. Nous n’aimons pas nous demander combien notre téléphone portable a couté si nous aurions payé le vrai prix aux minerais du sang pour les faire. C’est en réalité moins de ce que l’on pense : les gens meurent pour des téléphones à trois sous.

 

La solidarité demande trop de sacrifices. Nous nous acharnons donc à définir les atrocités du passé.

 

Article soumis par Douglas S. Irvin

 

Les opinions exprimées sont celles de l'auteur et ne représentent en aucun cas les opinions de l'Université Rutgers ou de la Division Affaires Internationales.

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1 Comments
Génocide? Arménien,oui,Algérien,non! Comme si la France ne voulait pas tuer tous les Algériens: 1- Il y a la mort brutale (balle,épée,etc...) 2- La mort...lente par la misère,la maladie,etc... Au final...disparition,éradication d'un peuple ou du moins d'une très grande partie de ce peuple et... ce n'est pas un génocide? 3- Ne détruire que la culture d'un peuple...et qui est porteur de cette culture? les arbres? Si la France reconnait le génocide Arménien,c'est qu'elle a ses raisons mais ne pas reconnaitre le génocide Algérien,c'est de la pure hypocrisie. Oui,il n'y a aucune différence entre le génocide arménien et le génocide Algérien,sauf que le deux poids deux mesures a toujours éxisté en ce qui concerne l'Algérie,même concernant la décennie rouge.Alors?...

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